Tamino au “Jardin” : une fleur (enfin) à maturité !
14 novembre 2021 /
Occasion de mes débuts au prestigieux Covent Garden de Londres, la Flûte enchantée récemment montée par la Royal Opera House (avec David McVICAR à la mise en scène et Hartmut HAENCHEN à la direction) aura été, pour moi, une fabuleuse expérience. A propos de laquelle j’ai eu le plaisir d’échanger il y a peu avec Julien KNOEPFLER, mon fidèle ami et chargé de communication à l’échelle de ce site web, notamment. Je le remercie ici d’avoir pris la peine de mettre en forme notre conversation impromptue, histoire d’aboutir à la présente interview, que je partage avec vous !
Cher Bernard, tu viens donc, dans le courant de cet automne, de vivre une expérience extraordinaire, avec l’incarnation du personnage de Tamino dans la Flûte enchantée au Royal Opera House de Londres.
Entre reprise d’un rôle « très spécial » dans ta carrière et débuts sur la scène prestigieuse de Covent Garden, qu’est-ce qui aura été le plus cher à ton cœur ? Cette dimension de retrouvailles avec une figure aimée ? Ou tous ces facteurs de nouveauté liés à la découverte d’une maison d’opéra jusque là inconnue ?
Difficile de faire primer l’une de ces deux dimensions ! Car chacune d’entre elle m’aura procuré un vrai bonheur !
D’ailleurs, les choses sont un peu plus complexes, à vrai dire, que ne le laisse entendre cette dualité dont tu parles. En effet, le fait même de reprendre le rôle de Tamino – que tu qualifies à raison de « retrouvailles » – comportait, comme tel, sa part de nouveauté ! Ça peut paraître étrange, comme idée…. mais à certains égards, ce rôle, j’ai eu le sentiment de l’interpréter pour la première fois ! Du moins, dans le contexte de maturité qui est désormais le mien !
Pour bien comprendre ce que je dis là, il faut être conscient que la rencontre entre un rôle et un chanteur, ça n’a rien de ponctuel, de figé dans le temps. C’est au contraire comme une sorte de jeu d’observation, de danse de séduction, qui peut s’étaler sur des années… voire plusieurs décennies ! Or, quand j’ai repris ce Tamino pour Covent Garden, j’ai eu avec précision le sentiment d’être enfin « à point » pour ce personnage. Un peu comme une bouteille qu’on débouche après l’avoir maintenue en cave le temps suffisant !
Pour bien comprendre comment s’est forgée cette maturité : quelles ont été tes rencontres antérieures avec le rôle ?
On peut considérer que ce rôle correspond à mes débuts au niveau international.
Ma rencontre avec Tamino s’est du reste faite en fanfare : que pouvais-je espérer de plus beau, en effet, que de découvrir cette partition (en 2000) sur la mythique scène de l’Opéra de Leipzig ?! J’allais ensuite faire une deuxième « Flûte » à Klagenfurt peu après. En 2005, j’ai chanté Tamino dans la singulière mise en scène d’Achim FREYER au Gaiety Theater de Dublin. Puis j’ai retrouvé le personnage en tournée scolaire à travers la Suisse romande, dans une version abrégée de l’opéra.
Tu m’avais parlé aussi, en son temps, d’une incroyable aventure parisienne, non ?
Effectivement ! C’était en 2008, et l’aventure dont tu parles a pris la forme d’un invraisemblable remplacement au pied levé à l’Opéra Bastille.
Je me rappellerai toute ma vie cet appel reçu un matin à mon domicile neuchâtelois, par lequel mon agent me demandait instamment de tenir le rôle le soir même à Paris, alors que le titulaire – malheureusement malade et privé de voix – jouerait, lui, sur scène ! Autant dire que je n’eus pas énormément de choix…
Entre les horaires d’avion et le trafic parisien en pleine période de Noël, je te laisse imaginer : il était 20h30 pétantes quand mon taxi me déposa devant l’opéra Bastille ! Durant le trajet (et sur fond d’embouteillages qui me firent désespérer plus d’une fois), j’avais été assez longuement en conversation téléphonique avec le Chef Thomas ENGELBROCK, qui avait eu ainsi la possibilité de me briefer sur les principaux enjeux d’interprétation…
Une fois déposé devant l’entrée des artistes, j’ai enfilé au pas de charge les longs couloirs de l’Opéra, jusqu’à la fosse d’orchestre. Le Maestro m’y attendait stoïquement depuis trente minutes, de même que l’orchestre, sans parler du public et du reste des chanteurs et choristes, coincés dans la salle et en coulisses, respectivement ! Faut-il ajouter que – évidemment dépourvu de smartphone vu l’époque – je ne savais rien de la distribution ?! N’ayant aucune vue sur le plateau depuis la fosse où je me trouvais, ce n’est dès lors que quand est arrivé le moment du dialogue avec le Sprecher que j’ai constaté que c’était la voix de José VAN DAM qui était en train de me donner la réplique !
Deux années plus tard, j’ai eu le plaisir de collaborer à nouveau – de manière heureusement plus sereine et… visible ! – avec ce « monstre sacré » ; on était alors dans La Veuve Joyeuse, au Grand Théâtre de Genève. Je me fis évidemment une joie de lui rappeler cet épisode cocasse, qui nous fit bien rire rétrospectivement !
Incroyable, cette affaire ! Je croyais que de pareilles situations de projection sur le devant de la scène en situation de (toute relative) impréparation ne trouvaient place que dans … les cauchemars !
Eh non ! Dans la vraie vie, aussi, parfois…
(rires)
Pour être complet, je dois t’indiquer que j’ai repris encore le rôle de Tamino au Festival de Salzbourg en 2012, sous la direction de Nikolaus HARNONCOURT. Ceci, avant de le rechanter en 2016 lors d’une tournée européenne (comprenant notamment Londres, Amsterdam et Berlin) avec le Budapest Festival Orchestra dirigé par Ivan FISCHER.
Evidemment, chacune de ces occasions a été porteuse de nombreuses émotions et de riches enseignements, qui ont nourri ma compréhension du rôle.
J’imagine bien…
Pour revenir à ton sentiment d’adéquation éprouvé lors de la production de cet automne 2021 : ça doit être très gratifiant, non, ce sentiment que le moment est juste, que les circonstances sont parfaites pour donner le meilleur de soi à un personnage ?
Oui, c’est peu de le dire ! Cela donne au chanteur la conviction qu’il peut se permettre beaucoup plus de choses, qu’il est en droit de « se donner » vraiment tout entier au service du rôle, d’entrer en résonance avec lui. Et donc, de tomber la garde, de prendre des risques. C’est un moment où on en arrive à se dire : « Je peux maintenant imposer quelque chose, je peux m’imposer dans quelque chose. Je peux aussi donner de la confiance à un chef d’orchestre, à des collègues, à un public ».
Faut-il préciser que ça n’est pas toujours le cas pour un artiste lyrique ? Nous ne l’avouons pas souvent, nous, les chanteurs ; mais les situations sont nombreuses où nous sommes très inquiets, face à un rôle… Pour ne pas dire que nous sommes morts de trouille, dans certains cas un peu extrêmes ! Il faut dire qu’il y a tellement d’inconnues, dans ce job, tant de variables non-maîtrisées en jeu…
Je comprends évidemment ce que tu m’expliques quant à cette idée de maturité, d’aboutissement. Mais tu devineras que j’aie envie, du coup, de pousser le raisonnement jusqu’à son terme. Doit-on déduire de ton propos que tu considèrerais, à l’inverse, que les productions antérieures de la Flûte où tu incarnais Tamino ont donné lieu à une prestation imparfaite, bancale de ta part ?
Je ne peux t’en vouloir de me poser cette question-piège ! Après ce que je viens de te dire, je me rends bien compte que n’importe que interlocuteur pas trop endormi avait de grandes chances de la formuler !
(rires)
La réponse que je te ferai est évidemment négative, en large partie. Lors de cette première décennie passée à donner régulièrement vie à Tamino, ce n’est pas parce que je percevais ne pas être encore tout à fait à la mesure du rôle que je n’aurais pas, pour autant, donné le meilleur de moi-même.
Mais ça, c’est l’effet d’un minimum de professionnalisme, serais-je tenté de dire. Le métier que nous pratiquons est tel qu’on doit, à chacune de nos prestations, être « au top », d’une certaine manière. C’est un contrat tacite, inhérent au monde même de l’opéra, à ses valeurs. Ce milieu, c’est un feu d’artifice de chaque soir, c’est du rêve, ce sont des places chères… Comme je le dis parfois avec un clin d’œil, « on n’est pas à Broadway ! ». Par cette expression, je n’entends évidemment pas critiquer le genre de la comédie musicale, pour lequel j’ai beaucoup d’admiration (et dans lequel je pourrais bien – qui sait ? – tenter un jour une incursion !) : non, tout ce que je cherche à exprimer, c’est qu’à l’opéra, on ne fait pas le truc « à l’année », sept fois par semaine. Dans le meilleur des cas, on donne six à dix représentations en tout et pour tout, avant de passer à une nouvelle production ! Et derrière, peut être qu’on ne refera plus jamais le rôle, ou alors, plus avant quelques années. Il faut donc que ce soit excellent tout de suite, il n’y a pas à tortiller ! A chaque fois, l’objectif est de toucher un niveau qui puisse « marquer l’historique d’un personnage, d’une interprétation », « faire date dans les annales », « témoigner d’une époque », même, dans les cas les plus ambitieux…
Ces hautes aspirations ne veulent pas dire que ça marche à tous les coups, évidemment ! Si c’était le cas, ça se saurait ! Des fois, ça fait juste « pshit », ou ça s’avère très quelconque, au final… Mais je parle de l’état d’esprit dans lequel on se place…
Maintenant, pour répondre de façon parfaitement honnête à ta question : il est vrai que, s’agissant de chacun de ces Tamino que je viens d’évoquer, je me disais invariablement : « Oui, c’est bien, c’est de mieux en mieux, je peux décidément le chanter ». Mais en même temps, j’avais parfaitement conscience que ça demeurait un rôle « piège »…
Par exemple, quand je l’ai fait à Salzbourg avec HARNONCOURT, je pense que le rôle me dépassait un peu, pour être sincère. Pourtant, être à Salzbourg pour la quatrième fois consécutive, avec des collègues que je connaissais bien, avec qui j’étais en confiance, avec qui j’avais déjà chanté, tout cela a fait que je me suis dis alors : « Ok, on te demande de faire Tamino à Salzbourg, c’est génial : tu balances ! ». Eh bien non, ça s’est avéré plus compliqué… Je me retrouvais, avec des instruments anciens, qui jouaient un peu plus bas ; j’avais de la peine à fixer ma voix vraiment comme je le voulais. Donc j’étais un peu spectateur, j’attendais l’aval, si tu veux, d’HARNONCOURT. Pour être précis : d’HARNONCOURT lui-même …et de sa femme aussi, Cécile, qui était très présente, et qui jouait dans l’orchestre, bien sûr. Tous ces besoins de réassurance, ce n’était pas facile…
Quand j’y repense aujourd’hui, je réalise que je ne me sentais pas encore vraiment en mesure d’imposer un Tamino… Et ce, en dépit d’un contexte à peu près idéal ! Il y avait donc toujours et encore des signes d’immaturité qui planaient. Quand, au moment d’interpréter un rôle, tu détectes de tels signaux, tu as le choix entre plusieurs stratégies. Tu peux les subir, les observer passivement ; ou tu peux saisir l’opportunité pour opérer de grands changements. Ici, je dois bien l’avouer, j’ai observé passivement… tout en tenant honnêtement mon poste, néanmoins ! Ça peut paraître un peu minimaliste, mais ne n’en ai pas honte, en même temps : le fait est qu’à chaque fois, on fait ce qu’on peut, avec les ressources et l’énergie dont on dispose au moment présent !
Au-delà de cette dimension de professionnalisme que tu évoques, peut-être qu’un autre paramètre qui a permis que tu sois déjà très bon dans ce rôle par le passé tient au fait que, plus tôt dans ta carrière, tu collais très idéalement à la « fiche d’identité » de Tamino, serais-je tenté de dire. C’est-à-dire à son profil tel que l’a imaginé SCHIKANEDER au travers de son livret…
C’est que ce prince égyptien a un côté très « jeune premier », non ?!
Oui, assurément ! D’ailleurs, c’est un rôle que travaillent beaucoup de jeunes chanteurs : l’air de « Dies Bildnis » hante à proprement parler les couloirs des conservatoires ! Moi-même, je l’ai immédiatement mis à mon répertoire d’auditions dès mes débuts.
Le piège tient dans le fait que le rôle ne paye pas de mine, à première vue. Techniquement, c’est un rôle très « chantable », même quand on est jeune. On ne prend pas des risques énormes si ce n’est au niveau de l’endurance, qui est toute de même considérable. Mais pour le reste, il n’y a pas là la virtuosité de la Reine de la nuit, typiquement ! De même, sur le plan scénique, il ne faut pas l’intelligence d’un Papageno, cette sorte de clown permanent qui doit proposer des trouvailles entre humour et poésie pendant tout le spectacle, sans tomber dans la pitrerie à deux balles.
En comparaison, Tamino a quelque chose de très rigide, d’un peu « stiff », comme on dit en anglais ! Ce n’est pas un rôle taillé pour plaire au public. Il doit être très discret, efficace. Il présente des points communs avec Don Ottavio dans Don Giovanni. Du reste, je pense que Tamino est un faire-valoir pour Papageno autant que Don Ottavio doit l’être envers Donna Anna : ce rôle exige, de ce fait, beaucoup d’humilité et de retenue.
Tamino, c’est l’obligation de rester incarné, statique, décidé. Il faut faire des choix physiques très précis sur scène, vis-à-vis de Papageno, de Pamina, vis-à-vis de tout ce qui entoure ce personnage, en définitive ! Il faut trouver un équilibre très juste pour incarner ce prince dont on ne sait trop d’où il vient ni où il va, mais dont on ne retient qu’une chose, finalement : c’est qu’il a comme objectif suprême de gagner le cœur de Pamina, de lui offrir son amour, sa sincérité.
Même s’il vient d’un univers différent, on comprend vite que Tamino est prêt à tout pour entrer dans ce monde gouverné par la Reine et par Sarastro, pour prendre des risques, pour casser certains codes, éventuellement.
La complexité de Tamino doit aussi être restituée dans cette part de mystère qui lui est associée, cette notion de quête, de pèlerinage, d’aspiration à la compréhension des choses. Il incombe donc à celui qui l’interprète de trouver une juste place au sein de cette grande fresque chatoyante et initiatique.
Tout cela, c’est autant de questions qu’on ne se pose pas forcément, lorsqu’on est un jeune chanteur, qu’on reste un peu axé sur sa partition…
Une sorte de rôle en trompe-l’œil, ce Tamino, donc ? Ou « à double fond », en ce qu’il contient différents niveaux de lecture… et d’interprétation ?!
Oui, c’est un rôle qui demande une maturité dramatique, même si elle est encore « green ». On parle d’ailleurs d’un rôle pour « baby helden tenor », (ténor, héroïque, dramatique, mais « en herbe »). C’est ce qui fait que quand tu as trente, quarante ans, tu sens que c’est possible. Mais idéalement, en tous les cas pour moi, il fallait encore laisser reposer dans la cave ! C’est donc en cette année de mes 48 ans seulement que j’ai finalement retrouvé ce rôle à Covent Garden. Et c’était très émouvant pour moi, parce que, cette fois-ci, j’ai eu cette sensation, si précieuse et rare dans une carrière, de littéralement « posséder » le rôle !
Mais cette maturité dont tu parles, comment estimes-tu l’avoir acquise ? Est-ce affaire de travail ? D’apprentissages techniques ? D’évolution physiologique ? D’accumulation de référentiels culturels ?
Il y a un peu de tout cela, à l’évidence…
On va chercher dans la boîte à outils, dans sa propre boîte à outils, grâce au répertoire qu’on a embrassé depuis toutes ces années, à savoir MOZART lui-même, bien sûr, mais aussi beaucoup de baroque, beaucoup de HAYDN…
Il faut dire par ailleurs que j’ai une voix qui s’est considérablement développée ces dernières années. Je l’ai sentie mûrir, je l’ai observée gagner en assurance, et il a fallu – ces cinq, six dernières années – que, vraiment je « recalibre » tout ça, tout en assumant un peu cette place nouvelle que prenait ma voix.
Dans le cas de Tamino, cependant, il y a aussi eu une dimension de maturation plus passive, qui m’amène ici à utiliser cette métaphore de la bonne bouteille d’un vin qu’on aurait laissé vieillir en cave. Sur ce plan, le processus de progression a été très différent pour Tamino que dans le cas de Don Ottavio, dont je parlais tout à l’heure. Car pour Don Ottavio, la progression a été plus directement liée aux différentes productions : il n’y a pas eu ce même phénomène de long repos source de progrès en tant que tel.
Voilà : c’est à la croisée de ces différents processus d’ajustement que j’ai su que Tamino avait trouvé sa place, que c’était le bon moment !
Un mot encore sur ce rôle et son évolution : le fait que tu considères que c’est désormais le bon moment signifie-t-il, par corollaire, que tu vas bientôt l’abandonner, quand ta voix aura rencontré d’autres paliers d’évolution ?
C’est difficile à dire. Pas forcément…
C’est là que réside, une fois encore, toute l’originalité de ce rôle incroyable ! Si on était en train de parler du Ferrando de Cosi fan tutte, j’aurais certes pu tenir un temps ce discours de maturité, mais assez vite, j’aurais aussi dû me dire : « Oui, bon, c’était bien de progresser, mais il y a un temps pour tout. Désormais, place à plus jeunes que moi ! ». Tamino, ce n’est pas la même chose. Je ne vois pas clairement le moment où je cesserai de l’interpréter.
En m’entendant tenir ce discours, tu te dis peut-être que je suis dans un drôle de délire, un peu chimérique ou prétentieux, et que je ferais mieux, à moyen terme, de laisser ce rôle aussi à la génération émergente ! Mais la vérité est que je suis loin d’être le seul à penser cela ! Ainsi, c’est à l’âge de soixante ans que Peter SCHREIER, le mythique ténor allemand, considérait chanter le mieux ce rôle ! Et l’anecdote ne me vient pas de n’importe qui : c’est Hartmut HAENCHEN – qui a lui-même près de quatre-vingt ans et qui a souvent dirigé Peter SCHREIER, notamment dans sa dernière interprétation de Tamino ! – qui m’a soufflé l’anecdote, lors des répétitions à Londres !
Tu viens d’explorer longuement la dimension de retrouvailles avec le rôle, en introduisant le côté dynamique de ce retour aux sources. Mais – pour revenir à ma première question -, il reste que Londres, c’était une « vraie nouveauté », aussi. Objective, je veux dire, et non liée à ton processus personnel de maturation.
Peux-tu nous dire un mot de cet aspect ?
Parler de cette expérience londonienne, c’est rendre hommage avant toute chose au chef Hartmut HAENCHEN. J’ai fait via cette production la connaissance d’une personnalité très passionnante et attachante, c’est indéniable ! Fort de ses septante-huit ans, tout de même, il a conduit cette affaire avec une sérénité, une intelligence, un calme, une clairvoyance – et une expérience, bien sûr – qu’il est rare de côtoyer !
Il faut dire qu’HAENCHEN, c’est un parcours au plus haut niveau, l’histoire d’un homme ayant su faire preuve de toute la patience et de toute l’humilité nécessaires pour attendre son heure, pour s’adapter à l’histoire. Né « du mauvais côté du Mur », il a su faire son trou dans sa ville de Dresde, puis profiter ensuite de la réunification pour développer sa carrière au-delà du Rideau de fer. Jusqu’à s’imposer de façon incontestée dans le milieu !
S’agissant de la production qui nous occupe, nous avons tous été frappés par la modestie avec laquelle Hartmut s’est mis à l’ouvrage. Tout son travail aura été marqué par énormément d’écoute. A l’égard de nos apports aux uns et aux autres bien sûr (tempi, couleurs…), mais aussi, plus généralement, face à ce qu’a écrit MOZART. Il faut dire que dans le domaine de l’opéra, il y a aujourd’hui une forme de snobisme qui conduit certains chefs (et metteurs en scène) à vouloir à tout prix laisser leur « patte », quitte à le faire au dépens de l’œuvre. Dans le cas d’HAENCHEN, sa démarche aura été totalement inverse : il s’est abstenu de rajouter quoi que ce soit, servant au contraire avec le plus profond respect une partition qu’il jugeait – comme beaucoup d’autres, heureusement ! – déjà totalement évidente et auto-suffisante.
Votre Papageno aussi, valait le détour, non ?
Oui, absolument ! Cet Huw MONTAGUE RENDALL aura été absolument remarquable !
Déjà le fait de son jeune âge – il n’a que 28 ans – signifiait que la partie n’était pas forcément gagnée pour lui. Mais à cela s’ajoutait qu’il était soumis à une pression considérable liée à son ascendance : c’est en effet le fils d’un ténor anglais – David RENDALL – très connu, qui est à la retraite, maintenant. Par ailleurs – et assez logiquement – c’était son premier Papageno, ses débuts à Covent Garden, au même titre que moi. Donc, inutile de dire qu’il était attendu comme le loup blanc par son public !
Dans les faits, je ne vais pas te mentir, Il était très stressé ! Mais il a su trouver très tôt son chemin, au fil des répétitions, avec un savoir-faire incroyable. Au final, il nous a proposé un Papageno extraordinairement intéressant, à mon sens, tout en retenue, en finesse, en poésie… Et agrémenté d’une pointe d’humour « very brittish » qui a proprement emporté le public local ! Cette manière de servir le rôle sans en faire des tonnes, sans tomber dans le burlesque était très en phase, quand on y pense, avec l’attitude du chef, telle que je viens de la décrire. Il a vraiment rallié tous les suffrages !
Tu mentionnes ici le public : a-t-il joué un rôle propre dans cette aventure londonienne ?
Ce public aura été merveilleux.
Déjà par sa présence : on a fait salle comble tous les soirs ! Mais aussi par son attitude, son implication…
A ce titre, c’est tout de même fabuleux de se rendre compte à quel point ce texte de SCHIKANEDER et cette musique de MOZART sont populaires ! Par moments, les gens rigolaient comme des enfants, comme ils l’auraient fait en réponse aux meilleures farces de Charlot ! C’est quand même fou de constater que, 230 ans plus tard – car le compte est bon : le 30 septembre 2021 on a joué pour jour 230 ans après la première de 1791, au Theater An der Wien de Vienne ! –, cette pièce reste toujours aussi populaire !
On sait que, si un théâtre doit vendre des billets, il lui faut proposer Carmen, La Bohème ou La Flûte ! C’est prosaïque à dire, mais en même temps, c’est miraculeux !
Si on ajoute à ça le bonheur qu’était celui de ce public londonien retrouvant les salles après une année de contraintes sanitaires, on a une idée de la fête qui nous a été réservée !
Un mot de la mise en scène de McVICAR ?
Sur ce plan également, c’était un spectacle magnifique. La gamme de couleurs était superbe, les ambiances parfaitement choisies. A cet égard aussi, l’équilibre trouvé aura été parfait, entre inventivité esthétique et sobriété, dans le respect de la tradition inhérente à une telle oeuvre.
En définitive, « que du bonheur ! », comme on dit, non ?! On dirait que je me trouve face à un Bernard RICHTER plus épanoui que jamais ; je me trompe ?
Il est un fait qu’il y a des carrefours, dans ce métier. J’ai connu ça avec le Atys de William CHRISTIE à Versailles (dont le DVD vient d’être réédité, voir carrousel d’accueil et discographie DVD, NDR). Ou avec Don Giovanni à la Bastille, sous la direction de Philippe JORDAN. Des moments où tu te dis : « Tiens, quel beau métier tu fais ! Quelle chance tu as ! ». Là, ce Tamino à Covent Garden, je pense qu’il marque une étape, une « milestone », comme on dit outre-Manche, précisément !
Evidemment, pas question de s’endormir sur ses lauriers ! Tout est à refaire à chaque fois. Il faut toujours être à l’affût de ses sensations.
Par ailleurs, maintenant comme au premier jour, les maîtres-mots restent le travail, l’observation, l’écoute, l’humilité. Définitivement, c’est un travail d’humilité…
Mais voilà : gravir la montagne, c’est savoir aussi s’arrêter parfois, reprendre un peu son souffle et savourer la vue qui s’offre à nous !
Assurément, cher Bernard ! Ne manque pas de t’en régaler ! Et bonne chance pour la suite de l’escalade !