Par-delà l’agenda ruiné, une foi musicale décuplée !
8 avril 2020 /
C’est avec la production Pelleas et Mélisande à La Scala en mars dernier que tout a commencé : fauchée en plein vol ! Il n’a pas fallu longtemps, en effet, pour que l’évolution fulgurante et dramatique de la pandémie dans le Nord de l’Italie ait raison aussi bien des répétitions que des dates de spectacles elles-mêmes. On en profite du reste pour rendre ici hommage à la courageuse autant que clairvoyante décision des administrateurs du prestigieux théâtre milanais de mettre fin assez tôt à l’aventure…
Face à un projet si prometteur (Daniele GATTI à la baguette, sur une mise en scène de Daniele ABBADO), la déception fut rude, évidemment. Elle n’était rien, cependant, en regard de ce qui nous attendait tous, dans le métier, au cours des semaines suivantes. Pour m’en tenir à mon cas, ce ne sont pas moins de trois engagements (prévus entre les mois d’avril et juillet) qui se sont ainsi trouvés engloutis dans cette succession d’annulations, au fil des e-mails ou des appels porteurs de mauvaises nouvelles !
Béatrice et Bénédict de BERLIOZ à l’Opéra de Cologne (7 juin au 4 juillet), mais aussi trois soirées aux programmes variés (autour de BEETHOVEN et MOZART) au Festival de Verbier (mi-juillet) : s’ajoutant au rendez-vous milanais déjà évoqué, voici le triste gâchis dont ce redoutable covid 19 peut – à ce jour ?! – se prévaloir, me concernant !
Si les premiers abandons ont été accueillis avec philosophie, ce serait mentir que de laisser croire que tout fut facile : à compter de la troisième décision de retirer de l’affiche un des projets-phares de mon année 2020, j’ai même ressenti un léger vent de panique ! C’est que, comme tout un chacun, un artiste lyrique a ses charges financières à honorer. De manière moins prosaïque, une angoisse vaguement métaphysique m’a aussi étreint. Qu’advient-il, en effet, du chanteur durablement privé de chanter ? Que demeure-t-il de lui, loin de ce public auquel il destine tout son travail et avec lequel il aspire à partager toute son émotion artistique ?
Au moment de me donner une stratégie de rechange, j’ai pu être tenté, un instant, de me joindre aux initiatives – très majoritairement généreuses et pertinentes – consistant, pour de nombreux artistes issus des genres les plus divers, à jouer la carte de la technologie. Entre enregistrements improvisés et partage « en live » au fil des réseaux sociaux, d’étonnantes réalisations ont été mises sur pied, il faut bien l’avouer, qui ont maintenu l’espoir de part et d’autre. Mais une petite voix intérieure m’a très vite assuré que ça n’était pas là le moyen qui me correspondait pour faire face aux événements.
Pour ma part, j’ai plutôt fait le choix de donner place au silence. Déjà, par pudeur face au drame de la catastrophe sanitaire, l’emportant sur tout. Mais aussi, comme une porte ouverte sur une forme d’essentiel, de remise en question. A n’en pas douter, le silence a ses vertus. N’est-il pas, en définitive, le terreau de notre activité de musicien, la « page blanche » sans laquelle notre expression sonore demeurerait illisible ? A le pratiquer, au contact de ma famille, de lectures trop longtemps ajournées, de partitions presque oubliées, j’ai parcouru un chemin étonnant, dont je sors aujourd’hui grandi. Avec la conscience d’avoir finalement été préservé en comparaison de certains de mes concitoyens, frappés par le deuil ou la maladie.
Il n’en reste pas moins que, plus que d’autres – qui auront pu prendre ces quelques semaines d’oisiveté contrainte comme des vacances somme toute pas si désagréables ! –, je suis profondément impatient de savoir la crise définitivement derrière nous. Pour cesser de craindre pour la vie de ceux que j’aime, aînés en tête, bien sûr. Mais aussi, dans la perspective de reprendre le chemin des scènes. A ce titre, nos retrouvailles promettent d’offrir plus d’une fête étonnante…
Peut-être aura-t-il fallu passer par cette épreuve pour que vous et moi – comme, aussi, des centaines de milliers de personnes à travers le monde – découvrions, sous le coup d’une même émotion, combien le spectacle vivant est essentiel à nos vies… Quoiqu’il en soit, sachons, dans l’avenir, le célébrer et le chérir avec d’autant plus de passion ! Et en gardant à l’esprit que si le fait de se regrouper avec d’autres dans une salle de théâtre peut être source de contagion, ce même acte est aussi et surtout le gage de nombreux “anticorps” face aux pandémies. Y compris celles – moins sanitaires mais non moins sournoises – qui menacent respect des libertés, sens du collectif et goût du vivre-ensemble !
Prenez soin de vous ! Et pour boucler la boucle, suivant nos amis Italiens qui lancèrent cet appel très tôt dans la crise, ne l’oubliez jamais : passé les angoisses, et en fin de compte, Tutto andra bene !