RODELINDA à Amsterdam : “the MINASI’s [d]utch” !

30 janvier 2020 /

Intégrer la distribution de Rodelinda au Dutch National Opera d’Amsterdam : à peine m’avait-il été soumis sur le papier que, déjà, je cédais aux nombreux atouts de ce projet ! Parmi eux :

  • L’oeuvre en général, d’abord, et à travers elle, cette « valeur-refuge » qu’est le génie de HAENDEL. Evidemment, les occasions avaient été déjà nombreuses pour moi d’interpréter « le plus anglais des compositeurs allemands ». Mais il s’était agi essentiellement d’oratorios (le formidable Messie en tête) : l’interprétation scénique, pour sa part, constituait bel et bien une première !
  • L’encadrement artistique, d’autre part : j’avais en effet déjà entendu parler en termes plus qu’élogieux du chef Riccardo MINASI, violoniste virtuose devenu dirigeant de divers orchestres baroques de premier rang. Quant au metteur en scène Claus GUTH, je connaissais évidemment sa trajectoire brillante, entre Francfort, Berlin, Londres, Madrid, Paris et Vienne.
  • Un casting haendelien au sommet, enfin : Lucie CROW en Rodelinda ; deux contre-ténors en or, Bejun MEHTA (Bertarido) et Lawrence ZAZZO (Unulfo) ; enfin, les fortes personnalités artistiques de Katarina BRADIC (Eduige) et Luca TITTOLO (Garibaldo), pour compléter l’affiche.

Déjà attrayante a priori, donc, l’invitation du Dutch National Opera a encore gagné en intérêt une fois les répétitions concrètement démarrées. La rencontre avec Riccardo MINASI s’est ainsi révélée comme une expérience lumineuse, joyeuse, follement enrichissante. De même, le travail avec mes collègues donna lieu à de magnifiques partages : on peut ainsi véritablement affirmer – par clin d’œil au décor résolument architectural de Christian SCHMIDT – que nous avons, tous, fait « maison commune » le temps de la production !

En dépit de ce bel alignement astral, il serait faux, cependant, de croire que je me serais immédiatement jeté à plein dans mon rôle : en réalité, il me fallut un temps d’adaptation. D’observation, aussi, tant il y avait à apprendre autour de moi !

La disponibilité, la confiance et la patience de Ricardo MINASI – en l’occurence, aux “manettes” de l’admirable Concerto Köln – ont été ici infiniment précieuses : alors que je tendais à « retenir », le maestro m’a invité à «me lâcher ». Cette première phase dépassée, j’ai pu donner le meilleur de moi-même. C’est alors avec gourmandise que j’ai ensuite habité la figure psychologiquement complexe – autant que musicalement sombre et dramatique – de Grimoaldo, en m’appuyant sur le fait que les partitions de ténor sont toujours si magnifiquement servies chez HAENDEL…

A partir de là, les six dates – systématiquement « sold out » – furent un vrai bonheur… Quel privilège, en effet, que de pouvoir se faire l’interprète de cette musique si fluide et agile ! Quel plaisir, par ailleurs, de sentir le public conquis, ainsi qu’en témoignèrent, au terme de chaque prestation, les longues minutes d’ovation… C’est au point – j’ose le dire – que, rarement, j’ai eu le sentiment de contribuer à une production qui rencontra une si large et sincère approbation de la salle

Après une telle liste d’éloges, on pourrait penser que j’aie définitivement fait le tour des satisfactions que m’amenèrent ce « Rodelinda » entre digues et canaux : mais ce serait omettre l’influence notable que cette aventure a aussi exercée sur la suite de mon travail. De longues semaines après mon retour au pays, je suis ainsi resté proprement « électrisé » par ce que je venais de vivre, à la fois animé d’un nouvel appétit de découvertes et comme doué d’une élasticité vocale encore jamais ressentie auparavant…

D’étonnants parallèles me sont notamment venus à l’esprit, au moment de passer à d’autres partitions du répertoire. Car s’il est connu que HAENDEL est une sorte de « VERDI du Baroque » – leurs deux « trilogies populaires » sont souvent comparées –, on souligne moins ce qu’il a transmis à ces deux autres « monstres sacrés » de l’art lyrique que sont MOZART, d’une part, et WAGNER, de l’autre. La palette de couleur, l’expression des sentiments, le recours aux chromatismes : il y aurait bien des emprunts, assurément, à identifier au cœur de cette triangulation… 

Mais ce ne sont là encore que des pistes, des intuitions… Dont je me féliciterais presque du caractère inabouti, tant la perspective d’approfondir, au fil de la route, ce somptueux héritage haendélien – un jour, peut-être, un rôle de Bajazet dans Tamerlano ? – me réjouit ! Ce qui est certain, en regard de ce beau voyage, c’est que « Rodelinda 2020 » aura, quoiqu’il en soit, constitué une étape décisive. Mieux : une véritable borne de référence, sur le côté du chemin…