L’exigeant format du concert

(« CONCERTS, RECITALS ET ENREGISTREMENTS » – TEMPS 1)

Quelles que soient ses préférences intimes, un artiste lyrique désireux de gagner en souplesse, en maîtrise et – in fine – en confiance se doit de « se frotter » à toutes les disciplines et tous les genres.

C’est ainsi que m’est apparue, progressivement, la nécessité de m’essayer – aux côtés de la scène ou du Lied / de la mélodie – à cet exercice spécifique qu’est la prestation de concert.

Le concert : voilà bien un format qui a ses impératifs propres, à divers égards ! En l’absence de toute nécessité (ou presque) de mise en scène, le temps à disposition pour apprendre à se connaître et construire ensemble devient extrêmement concentré. Le droit à l’erreur se trouve, par conséquent, encore réduit, tandis que le stress, à l’inverse, est décuplé !

Mais cette « donne » exigeante n’a pas que des désavantages. Tous logés à la même enseigne, les artistes doivent se préparer en conséquence. Le but commun devient de faire « vite et bien », d’installer d’emblée l’œuvre, sa dynamique et son esprit : il faut se connecter instantanément et redoubler d’écoute. Cette urgence est donc stimulante, même si elle requiert indéniablement de l’expérience.

Conscient de ces différents enjeux, j’ai donc procédé à cet « élargissement » : étoffant ma carrière jusque là principalement opératique, des concerts se sont régulièrement immiscés dans mon agenda. Ce fut-là une école stressante au début ; mais il ne fait aucun doute que cette forme de diversification a joué un rôle précieux dans mon apprentissage du métier. Elle m’a aussi permis de créer des liens de confiance infiniment appréciables, qui ne m’auraient pas forcément été offerts dans le contexte de la scène plus traditionnelle.

Au nombre de ces liens précieux tissés sous l’égide du concert, je me dois de citer en premier lieu Adam FISCHER, avec qui j’ai interprété mes premières œuvres majeures de J. HAYDN – dont La Création et Les Saisons – que ce soit à Budapest ou au George ENESCU Festival de Bucarest. Mais il me faut mentionner aussi, bien sûr, Nikolaus HARNONCOURT et son Concentus Musicus (qui m’offrit de chanter mes première Scènes du Faust de Goehtes de R. SCHUMANN au Styriarte Festival de Graz en Autriche) ; Marc MINKOWSKI et Les Musiciens du Louvre ; Kent NAGANO avec l’OSM et l’orchestre de l’Opéra de Hamburg ; Adam FISCHER encore – puis Daniel HARDING – avec le Sveriges Radios Symfoniorkester à Stockholm ; Nathalie STUTZMANN à la tête du Stavanger Konzerthus (dans un Oratorio de Noël de J.-S. BACH) ; Paavo JÄRVI et le NHK Orchestra de Tokyo. Mais aussi, d’autres encore : Diego FASOLIS, Gabor TAKACS-NAGY… Fabio BIONDI et l’Accademia di Santa Cecilia dans Il Ritorno di Tobias de J. HAYDN, Fabio LUISI et le MDR-Sinfonieorchester, Theodor GUSCHELBAUER avec le Philharmonique de Strasbourg, Philippe JORDAN avec le Wiener Symphoniker dans la St-Matthieu de J.-S. BACH au Konzerthaus de Vienne et la IXème de BEETHOVEN dans une première tournée chinoise, Ivan FISCHER et le Budapest Festival Orchestra avec qui je revisite lors d’une même tournée mémorable le rôle de Tamino dans La Flûte enchantée ainsi que le Requiem de W.-A. MOZART au Concertgebouw d’Amsterdam, au Festpielhaus de Baden Baden, à Bruges, au Konzerthaus de Berlin et au Palais des Arts de Budapest.

En 2016, je rencontre Emmanuel KRIVINE, qui me dirige en tournée à Edinburgh et Glasgow dans ma première Enfance du Christ d’H. BERLIOZ. Puis le même KRIVINE m’invite avec son Orchestre National de France une année plus tard au Théâtre des Champs-Elysées à Paris pour une nouvelle version de cette œuvre.

Sans oublier le merveilleux Victoria Hall de Genève et plusieurs collaborations avec l’Orchestre de la Suisse Romande, dans des pages de SCHUBERT, BERLIOZ ou SCHUMANN, sous la direction de Jonathan NOTT et Charles DUTOIT.

En 2020, Teodor CURRENTZIS – charismatique jeune chef dont on parle de plus en plus – m’invite pour une première collaboration chez lui, à Saint Petersburg, où résident désormais ses extraordinaire orchestre et chœur MusicAeterna. Nous travaillons une nouvelle interprétation de la Neuvième Symphonie de BEETHOVEN pour le Mariinski Theater (à ce propos, lire ici). Le choc musical est beau, violent, sensible, vrai et émouvant : je redécouvre ce monument du Romantisme, que – là encore comme souvent –  je croyais connaître, alors qu’il continuait à receler, en réalité, tant de surprenants secrets (à ce propos, lire ).

Les concerts, ce sont aussi des occasions miraculeuses de saisir du nouveau répertoire à bras le corps, via cette relation d’autant plus passionnée à une oeuvre qu’on ignore si on la retrouvera à nouveau sur son chemin ultérieurement. Cette tendance à l’unicité explique aussi que la notion de « challenge » soit ici plus fréquente…

J’en aurai par exemple l’expérience avec Valentin REYMOND, directeur artistique du très singulier Festival des Jardins Musicaux à Cernier, dans mes terres neuchâteloises d’origine. Invité plusieurs fois dans ce cadre à explorer la partie la plus moderne du répertoire dédié à mon registre vocal, je me trouve amené à ajouter plusieurs belles cordes à mon arc. Ceci, notamment dans l’interprétation d’œuvres aussi formatrices et gratifiantes que sont le Nocturne et la Sérénade de B. BRITTEN, les Schuberts Winterreise de H. ZENDER, ou le Lied von der Erde de G. MAHLER.