Des adieux émus sur un air de Flûte. Le partage d’abord !

(« HARNONCOURT, HAYDN ET LE THEATER AN DEN WIEN » – TEMPS 3)

En 2012, je serai Tamino dans la dernière Flûte enchantée du chef Nikolaus HARNONCOURT, au Festival de Salzburg : sentant bien que je participe à la fin d’un mythe, je ferai de cette interprétation un hommage ému à la générosité exceptionnelle de cet homme, tellement doué pour tirer le meilleur des musiciens placés sous sa direction. Il n’est pas exclu que cette posture de respect profond, m’ait éventuellement conduit à me montrer davantage spectateur qu’acteur. Mais qu’importe : l’émotion du moment était grande, et je n’ai pas de regrets de l’avoir ainsi vécue à plein ! (Sur cet épisode salzbourgeois, mais aussi, de manière bien plus générale, sur l’évolution multi-décennale de ma relation à ce passionnant rôle de Tamino, lire cette interview).

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A n’en pas douter, le maestro aura contribué à faire naître chez moi un nouveau « credo » intime quant à ce qui doit constituer la quête ultime du chanteur lyrique (ou de l’artiste tout simplement !). Car si le besoin de reconnaissance dont je parlais plus haut est certes demeuré essentiel dans mon parcours – l’artiste qui nierait s’en préoccuper mentirait tout simplement ! -, je pense pouvoir affirmer en toute honnêteté que cette aspiration à la validation d’autrui est lentement passée au second plan. Prenant véritablement confiance en mes capacités, j’ai pu investir de plus en plus d’attention et de plaisir dans le partage sincère, libéré et généreux avec le public. Désormais, je suis en mesure d’affirmer que je tire bien plus de lumière et de chaleur du « feu intérieur » lié à mes différents moments de communion avec la salle que de la caution des chefs, critiques, et autres gestionnaires d’institutions musicales, aussi avisés soient-ils…

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Au contact de Nikolaus HARNONCOURT, j’aurai aussi construit un rapport inédit aux compositeurs et à leurs œuvres. En ce sens la formule – sans doute un peu rabâchée – voulant qu’on doive  « servir la musique, et non s’en servir » a trouvé, à la faveur de ces années de lumineuse collaboration, une signification nouvelle. C’est que, jusque-là, j’avais certes bien compris la seconde partie de la phrase, voulant qu’on s’interdise d’instrumentaliser une oeuvre aux fins de se mettre soi-même en avant ; mais je restais un peu embarrassé quant à savoir comment, en pratique, il convenait de s’y prendre pour assurer ce fameux « service » dévoué et désintéressé.

C’est en pensant à Nikolaus HARNONCOURT et à son discours – toujours très étayé – sur les compositeurs, que j’ai pu me convaincre de l’importance de nourrir, à chaque fois, mon interprétation des conditions mêmes (faites de contexte historique autant que d’émotions personnelles) ayant présidé à l’écriture des œuvres qu’il m’était donné de chanter. Mais aussi, de la nécessité de restituer au plus près les sentiments universels et intemporels – amour, colère, émerveillement, souffrance, joie, peur – voulus par le récit dont je me faisais, sur scène, le relais.

Depuis lors, cette équilibre complexe constitue mon principe et mon défi : mettre suffisamment de moi-même dans mon art pour être dans la justesse et l’authenticité de l’humain ; mais en même temps, rester suffisamment pudique et « en retrait » pour, toujours, demeurer « au service » de plus grand que moi : le compositeur !